Quels regards portent la société, les amis et la famille sur chaque allocataire ?
Quelle estime celui-ci a-t-il de lui-même ?
Quelle vie affective est-elle possible lorsque l’on est au RSA ?
REGARDEZ cette émission à laquelle Stéphanie LADEL, consultante sociale et fondatrice de Cabinet Social, a participé.
Etaient également invités Alain GUEZOU et Pierre-Louis SERERO de RSA S.A.S (ex- RSA coop) et plusieurs bénéficiaires de cette allocation.
Extraits (interventions de Stéphanie LADEL) :
Quelle priorité : les charges ou les regards?
« J’ai noté tout de suite que Christelle et Sébastien sont revenus sur l’importance pour eux d’un fait qui n’était pas forcément de se préoccuper du regard des autres mais de commencer par s’occuper de rogner tout ce qu’ils peuvent pour ne pas tomber dans les dettes et gérer leur budget. C’est d’abord la préoccupation, je pense, de quelqu’un qui touche le RSA que de rentrer dans ses frais et de ne pas s’enfoncer. La deuxième chose aussi dont je voulais parler, et que j’ai déjà entendu autour de cette table, c’est le fait que le regard des autres c’est gérable tant que finalement la posture d’être au RSA n’est pas sue. C’est une fois que ça se sait que ça devient un peu plus compliqué. »
Etre au RSA, c’est être malvenu chez certains médecins
« Je vais parler en mon nom, c’est vraiment très difficile de synthétiser ce que sont « les gens ». Je vais parler en mon nom parce que je suis passée par une période, moi aussi, de RSA ; oui, on n n’est pas exempté parce qu’on est travailleur social… En montant ma société, forcément, il y a un creux de la vague à un moment donné. Et j’avais cette chance d’avoir la double carte et chef d’entreprise, et bénéficiaire du RSA, que je pouvais déployer quand je me sentais en difficulté de dire que j’étais au RSA ; bénéficiaire ou en tous cas percevant le RSA. Et une de mes expériences les plus délicates a été celle de la rencontre avec les médecins.
Je ne sais pas si vous, vous pourrez en dire deux mots de comment vous percevez les choses, mais qui dit RSA dit aussi la CMU complémentaire, qui fait qu’effectivement on n’a pas à faire l’avance de frais et à payer une mutuelle, mais pour autant on est extrêmement mal perçu en tant que patient par les médecins, notamment les médecins spécialistes, qui ont eux l’impression de devoir se brader, parce que la loi leur impose, et qui vivent extrêmement mal le fait de recevoir des bénéficiaires, ou en tous cas des accédants à la CMU, et qui nous font comprendre que ce serait bien que ce ne soit qu’une seule fois. »
Un adulte a une carrière : retour à la case départ
« Je pense qu’on a tous été élevés comme ça, avec le souci de…, comment vous dire ? On nous demande de savoir ce que l’on veut faire dans la vie. Et arrivés à un moment donné de notre adultéité, si on trébuche, dans la vie professionnelle par exemple, et qu’il y a besoin de passer par la case RSA, il y a une espèce d’infantilisation ; on le comprenait bien dans le premier témoignage, avec une injonction familiale : « Mais qu’est-ce que tu vas refaire dans la vie ? Tu ne vas pas rester comme ça… Justifie tes démarches. Et qu’est-ce que tu vas bientôt faire dans la vie ? » Et je comprends Christelle qui fuit du coup ce contact… (…) (Se débrouiller tout seul), c’est toujours ce qu’on nous a demandé, finalement. (…) C’est quand même bien à soi de trouver la solution pour sortir. »
De la possibilité d’un couple socialement mixte
« Peut-être que j’anticipe sur la suite, mais quand j’entends l’homogénéité éventuelle du groupe d’amis autour d’un budget ou d’une possibilité d’avoir les mêmes projets parce que c’est contraint par un budget qui sera maintenu, je me pose la question du couple. Quel couple est possible si, désolée mais d’autant plus pour ces messieurs, il y a un budget contraint et s’il y a un problème d’attente inassouvie de la part de la demoiselle ? Du monsieur aussi, mais enfin, en général on attend plus de vous, que vous de nous, de ce côté-là.
Et je me dis qu’à s’être forgée une vie effectivement contrainte sur le plan amical par des gens qui partageraient une « culture RSA » (génial, le concept, on se l’ait noté, je ne suis pas la seule à l’avoir noté…) ; si on se contraint dans cette vie-là, est-ce qu’il va y avoir un problème à un moment donné d’ascenseur social, d’une manière ou d’une autre ? Alors ça veut dire déjà qu’on imagine que c’est un RSA qui dure, et ce n’est pas forcé… Et si jamais c’est un RSA qui dure, est-ce que ça veut dire que ça oblige à faire des choix dans la séduction et dans le rapport à une future partenaire ou à un futur partenaire ? »
De la réalité d’un couple socialement mixte
« On se rend compte que si on dépasse l’autocensure d’aller choisir un couple mixte précaire / personne aisée, on va se retrouver quand même avec un problème non pas d’estime de soi, mais d’estime de l’autre, c’est-à-dire que le partenaire peut se dire : « Oui… mon chéri, ma chérie : glaneur, glaneuse, pas très glamour… Je n’assume pas trop auprès de la famille. » Donc, la fameuse belle-famille, qui va nous dire : « Alors, il fait quoi dans la vie ? Médecin ? Avocat ? » « Non, RSA, glaneur. » C’est extrêmement difficile de sortir d’une sobriété qu’on a apprise par la difficulté pour arriver à une situation d’entente avec quelqu’un qui n’est pas de cette « culture »-là, apprise, mais cette culture-là. »
A bientôt !