Une fois n’est pas coutume… cet article est un billet d’humeur. J’ai été effarée en découvrant mi-mars que le Haut Conseil en Travail Social nous tirait une balle dans le pied en rédigeant la première définition française du travail social et en ratant alors superbement l’occasion de le nommer discipline, comme l’ont fait l’IFSW et l’IASSW (Fédération Internationale du Travail Social et Association Internationale des Ecoles de Service Social).
Cette définition a vocation à être retranscrite dans la loi ; ce qui vient d’être fait par le décret du 6 mai 2017. Or, ne pas signifier que le travail social est une discipline, c’est acter que ce n’en est pas une.
Merci bien, merci d’être à contre-courant de cette reconnaissance internationale. Nous voilà donc toujours contraints de nous restreindre à un BAC+3 pour rester en contact avec les gens, les diplômes supérieurs en travail social étant encore et toujours des diplômes de management et de coordination. Toujours rien pour la recherche.
Et très vite après, à l’occasion de la Journée Mondiale du Travail Social, le 21 mars, Ségolène NEUVILLE a fini d’enfoncer le clou quant au travail social en France en annonçant l’arrêté qui sera signé une semaine plus tard, et qui indique que les 5 diplômes d’Etat à Bac+3 obtenus après un cursus débuté en 2018 seront classés en niveau II.
Pas de quoi féliciter les promos 2021 et suivantes pour cette reconnaissance, puisque c’est assez logique d’avoir un niveau Licence pour un BAC+3, non ? Apparemment pas assez logique pour ce qui est de nous autres, diplômés depuis des années ou des décennies après 3 éprouvantes années d’études supérieures également…
C’est presque normal, hélas ; nous nous sommes à peine plaints. Bien avant le RAID, nous avions adopté la devise « Servir sans faillir ». Quelques grèvounettes, de temps en temps, pour rouspéter de notre maltraitance, puis nous retournons aider ceux qui nous attendent…
Et je partage l’analyse de Séverine dans « Sexe, travail social et temps partiel » : pour ce qui est des assistants sociaux du moins, il est fort à parier que c’est en partie dû au fait que nous ne sommes que des bonnes femmes pleines de bonnes intentions pour les autres, qui s’oublient et qui peuvent se faire oublier par la même occasion.
Sauf que pendant the World Day of Social Work, la Journée Mondiale du Travail Social, je n’étais pas en France mais en Suisse, plus exactement à Genève, plus exactement à l’ONU. Moi qui n’ai jamais prétendu ni moins ni plus que mon Bac+3 (enfin, Bac+4, puisque je suis également diplômée inter-universitaire en addictologie), donc moi qui n’ai jamais prétendu ni moins ni plus que ce que j’avais, j’y ai cotoyé des représentants de l’ONU et des travailleurs sociaux de nombreux autres pays. Et vous savez quoi? A Genève, loin de l’annonce française, j’ai passé une excellente journée !
J’y ai appris notamment qu’en Arménie, en deux coups de cuillère à pot, les travailleurs sociaux ont émergé comme une profession nécessaire, et reconnue honnêtement.
En Suisse, le travail social est considéré discipline académique depuis 2013. Les recherches en travail social sont lancées, et l’ONU prend au sérieux cette approche méthodologique. Et qu’est-ce que ça fait du bien, cette considération ! J’ose dire que c’est une considération méritée, parce que le travail social a une PUISSANCE que l’on oublierait presque, à baigner dans son marasme français…
Ce n’est pas une histoire de rémunération qui me frustre, évidemment. Ce qui me frustre, c’est que nous passons pour de gentilles bobonnes. Nous écrivons peu sur nos pratiques, sur notre discipline, nous intervenons peu devant les feux des projecteurs, nous ne réclamons pas d’accéder à un master et à un doctorat en travail social, de faire des recherches, et de prouver l’efficacité de nos interventions.
Et je pense que c’est aussi parce que nous ne produisons pas d’écrit sur notre discipline, que nous ne faisons pas d’études sur son efficacité, que nous sommes déconsidérés.
En tant qu’assistante sociale, je trouve que nous avons gentiment, trop gentiment, glissé des visiteuses médicales à notre pratique actuelle. Parmi nous, des professionnels exercent en libéral ; ce qui est mon cas. Je pense que cette pratique participe à ériger nos professions à un rang digne de considération.
Pour exprimer clairement ma pensée : ce rang digne de considération, c’est le moins que l’on puisse attendre de notre Gouvernement, à qui on rend un service immense, dans le même temps que l’on sert les individus, les familles, les groupes et, trop peu souvent en France, les communautés. J’ai bien dit un service IMMENSE.
Voyez la pression sociale d’une grève d’éboueurs. Imaginez alors la pression sociale d’une vraie bonne grève des travailleurs sociaux. Je souhaite bien du courage à nos politiciens pour enrayer les mouvements que cela engendrerait…
Conclusion intermédiaire
Cette première conclusion, qui ne sera pas mon dernier mot, s’adresse aux travailleurs sociaux ainsi qu’aux futurs travailleurs sociaux, et à ceux qui auront l’intelligence de comprendre que ce message s’adresse aussi indirectement à eux :
1. Collègues, confrères, consoeurs, arrêtons de dire merci quand on nous considère comme des quasi-SMICards, qui nous occupons des autres avec plein de bonnes intentions, qui ne sont pas régies par une approche spécifique.
2. Produisons des écrits, et tant qu’on en est là, rattachons-nous, par exemple par un bachelor international ou par des études à l’étranger, au reste-du-monde, qui sans commune mesure avec la France a de l’estime pour notre travail.
3. Convainquons de la nécessité de notre inclusion dans bien des champs d’action ou nous sommes encore sous-investis ou non-investis.
4. Au fur et à mesure de notre sortie de l’ombre de l’humilité maladive, réclamons non seulement notre juste place, mais aussi et surtout notre juste considération, à notre juste valeur.
Je suis bien entendu disponible pour échanger à ce sujet.
A bientôt !
Cet article est repris intégralement sur le site Miroir Social (réseau d’information sociale) et sur le site Travailleurs Sociaux Libres.
Je suis tout à fait ok avec vos propos.. J’ai dénoncé la même chose… Ouf je me sens moins seul dans mon combat… Moi qui suis obligé de solliciter le Portugal pour faire un doctorat en travail social
Merci pour ce beau témoignage, il est encourageant et rempli de vérités. Je suis triste de ce manque de considération notamment envers nous les travailleurs sociaux et de surcroît envers les bénéficiaires.
Bravo pour cet article. Il reflète bien le manque de reconnaissance de notre métier… Pour ma part j’ai remonté un problème avec un bénéficiaire : résultat pas de soutien de la direction et droit de retrait !!!
Bravo pour ce témoignage, un peu de reconnaissance pour les as
Bravo pour votre article !
Nous devrions produire des écrits, c’est également le constat que j’en fait. Mais comment ? j’ai bien essayé à divers reprises de solliciter ma hiérarchie, mais je n’ai guère eu d’écho ! Peut- être est-ce à nous de proposer et d’organiser, encore faudrait-il qu’il y ait suffisamment de participants et d’éléments fédérateurs !
Si vous avez des idées, je suis partante ! Car faire un constat, c’est bien et constructif et votre chronique est efficace. Il faut maintenant passer aux propositions d’actions, c’est ainsi que nous pourrons être visibles et peut-être reconnus
Tout à fait d’ accord…. on nous en demande de plus en plus et on doit la fermer pour nous ! Aucune reconnaisance. ..Limite burn out en psychiatrie. ..
Entièrement d’accord j’exerce maintenant en suisse en tant qu’assistante sociale et bien je valide la considération du travail social existe dans ce pays
Merci à tous pour vos messages. Et merci à chacun…
@Denis : Oui, il y a même un projet franco-portugais en ce sens ; la France aurait intérêt à valoriser son capital humain pour éviter la fuite des cerveaux.
@Henry : Ravie que vous ayez perçu mes encouragements ! Et je partage votre remarque concernant le manque de considération des personnes que l’on accueille, ou qui nous accueillent.
@Toussaint : Effectivement, il n’y a pas nécessité d’accord de l’employeur pour se protéger d’une situation critique. Je remets la référence législative : Code du travail, articles L 4131-1 et suivants.
@Audrey : Et même beaucoup. ;)
@Pascale : On peut faire valoir son expertise, même sans support de sa hiérarchie ni d’un collectif ; en conclusion de l’article j’ai donc invité à certaines actions qui peuvent être individuelles comme de groupe. Et, oui, vous avez raison : à plusieurs on peut être plus visibles !
@Véronique : Merci… Votre message est fort. Que penseriez-vous d’un changement dans votre parcours professionnel ?
@Charny : J’apprécie votre témoignage qui nous rappelle que d’autres réalités sont possibles.