Angie, jeune diplômée en travail social, a invité à déjeuner l’un de ses professeurs préférés, le Dr Gould. Après qu’ils se soient retrouvés, Angie s’est mise à parler de son travail dans un centre de dialyse où les patients reçoivent un traitement pour une insuffisance rénale terminale.
La plupart des patients viennent trois fois par semaine pour se faire soigner, Angie commence donc à bien connaître bon nombre d’entre eux. Pourtant, entre les fréquents transferts de patients vers et hors de cet établissement, les orientations et les résolutions de problèmes avec les patients établis, et les problèmes de Sécurité Sociale, son poste est très chargé.
“J’ai l’impression que je ne fais pas ce que je suis censée faire”, déclara Angie au Dr Gould. “Soit c’est ça, soit c’est l’école de service social qui nous a amenés à avoir trop d’attentes.”
“Que voulez-vous dire ?” demanda le Dr Gould.
“J’ai suivi ces cours (de travail social) en groupe et dans la communauté*”, dit Angie. “Ils nous ont dit que nous étions censés travailler à trois niveaux. Mais mon travail est micro. Tous mes amis font un travail micro. Pourquoi nous ont-ils fait suivre ces cours si nous n’allions pas les utiliser ? Mes patients ne sont pas intéressés par les groupes, ils veulent juste recevoir leur traitement et rentrer chez eux. Et je ne pense pas en savoir assez pour « organiser une communauté ».”
Le Dr Gould sourit. C’était une question, dit-elle à Angie, avec laquelle elle avait bataillé en tant que jeune assistante sociale. Elle avait eu l’impression que de nombreux programmes en travail social « s’étaient plantés » en enseignant comment intégrer les trois niveaux. Après avoir pris une bouchée de sa salade, voici comment elle a répondu.
Le travail social et « la personne en situation »
À mon avis, l’un des aspects distinctifs du travail social est l’accent mis sur le contexte. Nous avons une longue tradition d’appeler cela « la personne en situation » – les grands systèmes, les systèmes de taille moyenne, l’individu en tant que système : macro, mezzo et micro. Quelle que soit la situation portée à notre attention – et c’est souvent une personne ayant un problème – il y a un contexte, et ce contexte importe. La personne compte, et la situation dans laquelle se trouve cette personne compte. Le contexte a contribué à créer le problème quel qu’il soit, et vous pouvez utiliser le contexte pour le résoudre.
Au niveau micro, par exemple, prenons l’un de vos patients dialysés. Le père est malade. Il est facile de penser aux changements dans sa vie. Désormais, il ne peut plus conduire. Un membre de la famille doit l’emmener en soins et le récupérer. Peut-être que quelqu’un est content de le faire, ou peut-être pas. Peut-être que le père ne peut pas travailler, et cela change la situation financière de toute la famille. Vous voyez ces choses se passer tous les jours, des trucs mezzo.
Le père peut-il bénéficier d’une reconnaissance de son invalidité au titre de la Sécurité Sociale ? A-t-il une prévoyance ? Ces choses-là font référence à des questions macro — ce que le gouvernement est prêt à faire, ce que l’employeur est prêt à faire. En tant que travailleurs sociaux, nous comprenons que le problème se situe à plusieurs niveaux : les sentiments propres au père au sujet de sa maladie, la situation financière de sa famille, ce qui est disponible comme ressource communautaire.
Ou peut-être travaillez-vous avec des femmes battues et devez-vous souvent aller au tribunal. Et il y a ce juge en particulier qui ne semble tout simplement pas « comprendre ». C’est un problème de système, un problème macro, qui affecte vos clients** et leurs familles – le micro et le mezzo. Vous souvenez-vous du vieux travail social, qui disait que le personnel est politique ? Et le politique est personnel, aussi.
Ou regardez cette femme à qui j’ai parlé l’autre jour. Elle essaie de prendre soin de sa mère, de conserver son emploi et de répondre aux besoins de son époux et de ses enfants. Son anxiété et sa dépression sont des problèmes micro. Mais vous ne pouvez pas comprendre cela juste comme une anxiété et une dépression, comme si elle vivait dans le vide. Le cœur de la situation réside dans des exigences familiales conflictuelles – mezzo.
Mais on ne peut vraiment pas comprendre le problème dans son ensemble sans considérer si la société a une offre d’accueil de jour pour adulte ou un service de répit, si le coût de la vie est tel que cette femme doit travailler, et ainsi de suite. En tant que travailleuse sociale, vous vous êtes habituée à voir les problèmes à trois niveaux – si habituée que parfois vous ne vous rendez même pas compte que vous le faites.
Contexte et intervention
L’une des choses qui, selon moi, est vraiment essentielle au travail social, c’est que l’intervention peut également se faire à trois niveaux. Ce n’est pas une affaire où les problèmes micro sont traités au niveau micro, les mezzo au niveau mezzo et les macro au niveau macro. Vous avez les ressources des trois niveaux disponibles, pour une utilisation à n’importe quel niveau.
Votre patient dialysé peut trouver du soutien et de bonnes idées pour s’occuper de sa famille (mezzo) auprès de vous ou des autres patients. Vous m’avez dit que les patients n’étaient pas vraiment intéressés par un groupe de soutien formel, mais qu’ils en ont formé un informel en attendant leur trajet après traitement. C’est super ! Et vous m’avez parlé du salon que vous avez mis sur pied, où les membres de la famille peuvent attendre les patients. C’était une intervention mezzo, pour les membres de la famille, et une macro aussi.
Vous avez dû parler à la direction pour qu’ils vous laissent la pièce et le mobilier et pour qu’ils financent le café. Macro, ce n’est pas que témoigner devant la législature ; c’est aussi travailler avec les organismes de l’administration. (Les travailleurs sociaux se sont battus pour être requis par la loi dans les centres de dialyse, et quand cet état de fait a été menacé, ils se sont encore battus. Vous êtes trop jeune pour vous en souvenir.) Le salon familial a aidé les membres de la famille, et cela aide les patients. Et vous avez amené la direction à voir cela, probablement en utilisant vos compétences en entretien micro.
La juge avec une vilaine attitude peut avoir des problèmes personnels (micro). Mais il est peu probable que vous ayez la chance de l’aider vis-à-vis de ces derniers. La solution pourrait être mezzo : invitez-la à dîner au centre d’hébergement pour femmes. Rencontrer les femmes et entendre leurs histoires pourrait changer son opinion. Sinon, et si la situation est suffisamment grave, il doit y avoir un organisme judiciaire qui examine les plaintes contre les juges. Si le juge a été élu, on pourrait faire appel à une action politique (macro). Les juges ne perdent généralement pas leurs élections, mais j’ai vu cela se produire lorsque des groupes de personnes ayant les mêmes plaintes se fédèrent.
La situation de la femme qui s’occupe de sa mère peut nécessiter une réunion de famille (mezzo) pour obtenir une répartition plus équitable de la charge entre les enfants. Ou l’orientation vers des ressources communautaires. Ou même des changements dans ce qui est à disposition dans la communauté. Cela ne signifie pas que vous, parce qu’étant son travailleur social, vous devez fonder un programme d’accueil de jour pour adultes. Je sais que vous n’avez pas le temps pour ça !
Peut-être qu’un groupe travaille déjà dessus, mais a besoin de lettres de soutien. Ou peut-être qu’un accueil de jour pour adultes est disponible dans la ville voisine, mais que la navette qui récupère les clients n’ira pas au-delà des limites de la ville. Pouvez-vous négocier une solution ? C’est ce que les travailleurs sociaux font tout le temps : chercher des solutions à travers l’ensemble des trois niveaux, pour faire face aux problèmes aux trois niveaux dans leur ensemble.
Le fait est qu’en tant que travailleuse sociale, vous disposez d’un large éventail de théories, de données et de ressources aux niveaux micro, mezzo et macro. Et vous avez à choisir parmi un large éventail d’interventions en micro, mezzo et macro. Est-ce complexe ? Oui. Cela peut-il être frustrant ? Souvent. Cela exige-t-il que vous vous teniez au courant des théories, des pratiques fondées sur des données probantes, et des problèmes communautaires ? Oui. Est-ce efficace ? Est-ce gratifiant ? Oui, certainement, pour les deux. Combiner les trois niveaux d’une façon qui fonctionnera pour votre client précis et la situation de ce client – c’est l’art et le défi du travail social. C’est une pratique à trois niveaux dans un cadre micro.
Les pressions du temps
Je peux voir sur votre visage, et je sais d’après ma propre expérience, que vous n’avez pas beaucoup de temps supplémentaire pour travailler davantage. Vous avez votre propre contexte micro, mezzo et macro, et vous devez prendre soin de vous. Vous devez donc être sélective dans ce que vous faites – travailler « plus intelligemment, pas plus dur », comme le dit le proverbe.
Quels problèmes sont courants chez vos patients et leurs familles ? Où en aurez-vous le plus « pour votre argent » ? Ce sont souvent des endroits sur lesquels se concentrer. Vous n’êtes pas obligée de tout faire. Si le groupe de soutien informel et le salon familial fonctionnent bien, mettez vos énergies ailleurs. Dans un an ou deux, vous serez en droit d’avoir des étudiants en travail social. Ils sont parfaits pour initier des projets particuliers.
Je sais que vous êtes membre de la NASW et du Council of Nephrology Social Workers. Je vous ai entendu dire que connaître les autres travailleurs sociaux en dialyse vous a « sauvé la vie » à plus d’une occasion. C’est mezzo, mais cela aide aux niveaux micro et macro. Si vous vous arrêtez et y réfléchissez, lorsque vous soutenez ces organisations nationales, vous faites partie d’un effort national pour conserver des standards élevés dans la profession, pour surveiller la législation, pour éduquer les communautés. Vous n’avez pas le temps de faire toute cette pratique macro. Ce n’est pas pour ça qu’ils vous ont engagée au centre de dialyse. Mais vos cotisations aident à payer les personnes qui y parviennent.
Dessert
“J’aurais aimé qu’ils l’aient expliqué comme ça, à l’école en travail social”, déclara Angie lorsque le Dr Gould eut terminé. “J’ai fait beaucoup plus de mezzo et de macro que je ne le pensais.”
“Oui, vous l’avez fait. Vous êtes un bon travailleur social. Et quand vous avez des étudiants sur le terrain, vous pouvez le leur transmettre. Demandez-leur même de l’écrire – pour chaque problème de client, quelles sont les dimensions aux autres niveaux ? Quelles sont les solutions, aux trois niveaux ? C’est un bon exercice pour apprendre à penser comme un travailleur social.”
“Je suis tellement reconnaissante d’avoir eu la chance de vous rencontrer”, dit Angie. « Je me sens beaucoup mieux.”
Le Dr Gould sourit. “Je suis tellement, tellement heureux que vous m’ayez contacté. Et pour vous montrer combien, je vous invite.”
* COMMUNAUTÉ se réfère au collectif auquel appartient l’individu, par exemple son environnement proche (voisinage et organismes locaux).
** CLIENT est la manière habituelle de désigner la personne concernée par l’action du travailleur social, dans les pays anglo-saxons.
A bientôt !
Stéphanie LADEL — 06.49.84.07.53
* Diplômée d’Etat Assistant de Service Social – Diplômée Inter-Universitaire en Addictologie